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Lutter contre le VIH en prison : l’expérience togolaise

Sidaction soutient des activités de prévention, de dépistage et de prise en charge du VIH en milieu carcéral au Togo. Une mission a récemment eu lieu pour aller à la rencontre des acteurs du projet.

Actuellement, 5 342 personnes sont incarcérées dans les 13 prisons que compte le Togo, où les personnes prévenues cohabitent avec celles qui ont déjà été condamnées. La population carcérale est jeune : 60 % des personnes ont moins de 35 ans. Une étude sur la séroprévalence, menée en 2022 dans cinq prisons togolaises par le Programme national de lutte contre le sida (PNLS), révèle une prévalence du VIH de 3,8 % [i]. Si des disparités existent selon les régions, – on note, par exemple, une prévalence de 6 % à la prison civile de Lomé, contre 2,5 % à Kpalimé –, la séroprévalence est néanmoins supérieure à celle en population générale, estimée à 2 % en 2020 [ii].

Un risque accru d’exposition au VIH

La situation du Togo est loin d’être inédite : de nombreuses études ont montré que, partout dans le monde, la prison constituait un lieu de forte exposition au risque d’infection par le VIH. La proportion de personnes vivant avec le VIH y est supérieure à celle de la population générale, à la fois parce qu’il existe une vulnérabilité des détenus préalable à l’incarcération (notamment du fait de leur appartenance à des populations exposées) et que la prison constitue en soi un lieu d’exposition à des pratiques à risque (consommation de produits stupéfiants et relations sexuelles non protégées et souvent non consenties) [iii].

L’étude du PNLS est révélatrice de l’exposition au risque : 13,5 % des détenus ont déclaré avoir eu des rapports sexuels au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête, sans que les données permettent clairement d’établir si la prise de risque a eu lieu en prison ou à l’extérieur. Parmi ces personnes, 31 % n’ont pas utilisé de préservatif lors du dernier rapport sexuel ; une fois sur quatre, la raison avancée était la non-disponibilité du préservatif.

Sans beaucoup de chiffres à l’appui, l’étude indique également que « la vente de services sexuels et la pratique du sexe transactionnel (échange de rapports sexuels contre de la drogue ou tout autre avantage) sont des comportements non négligeables observés chez les détenus ». Par ailleurs, 11 % des détenus ont déclaré avoir déjà consommé des drogues durant leur détention. Les produits les plus consommés sont la cocaïne et le crack. Les données suggèrent des pratiques d’injection encore peu répandues.

Les modèles statistiques résultant de cette étude montrent que les détenus âgés de 25 ans et plus courent un risque 3,6 fois plus élevé d’être contaminés par le VIH que leurs homologues âgés de moins de 25 ans. Les détenus qui ont été scolarisés sont moins à risque que les autres. Quant aux détenus ayant été testés positifs à la syphilis au cours de l’enquête, ils courent un risque significativement plus élevé de contracter le VIH que ceux testés négatifs. Les personnes ayant eu un symptôme d’IST au cours des 12 derniers mois présentent un niveau de risque quasi semblable.

Ces données sont précieuses pour mieux planifier et renforcer des interventions à destination de cette population. En termes de recommandations, l’étude suggère d’organiser des programmes de prévention IST-VIH dans les prisons, notamment par la mise à disposition de préservatifs. Et insiste sur l’importance du dépistage afin d’assurer la mise sous traitement des détenus séropositifs et de limiter ainsi la transmission du VIH.

L’action communautaire en prison

L’ONG Espoir Vie Togo (EVT) est un acteur communautaire clé dans la réponse à l’épidémie de VIH dans le pays. Historiquement, EVT intervenait de manière ponctuelle en prison en proposant des campagnes de prévention et de dépistage en marge de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Il y a environ cinq ans, l’ONG a démarré des activités plus régulières dans la prison de Sokodé. Cette année, elle a commencé à intervenir de manière quotidienne dans la prison civile de Lomé, dans le cadre d’un projet soutenu par Sidaction.

« À la prison civile de Lomé, le travail est réalisé par deux associations : EVT intervient auprès des hommes et Action communautaire pour la santé (ACS) auprès des femmes, explique Fabrice Alegah, responsable des programmes à EVT et référent pour les activités menées à la prison civile de Lomé. Nous organisons trois fois par mois des causeries éducatives avec les “secrétaires de cellule”, qui sont les représentants des détenus d’une même cellule. Ce sont les interlocuteurs pour les demandes de consultation des codétenus. Leur rôle est de relayer les informations. Nous avons travaillé sur des supports de formation qui sont aujourd’hui disponibles dans chaque cellule. Ils sont illustrés de photos, ce qui permet de faire passer de l’information de manière très claire. »

Et d’ajouter : « Nous avons travaillé à faciliter les consultations IST-VIH avec l’assistante médicale en poste à la prison. EVT fournit les tests de dépistage VIH et les traitements contre les IST. La médiatrice assure le conseil et le dépistage du VIHEnfin, nous avons un fonds d’urgence pour l’achat de médicaments. »

Pour EVT, il est nécessaire de rester vigilant lors de la sortie de prison. Il faut s’assurer que les détenus savent où aller pour continuer à recevoir leur traitement. C’est un enjeu important, car à la sortie de prison, il n’est pas rare que les personnes changent de région et perdent alors tous les repères qu’elles pouvaient avoir.

Une intervention à défendre

Intervenir en prison n’est pas aisé : il faut souvent accomplir de nombreuses démarches administratives, liées aux enjeux de sécurité, pour atteindre les détenus. Heureusement, EVT a réussi à faire reconnaître l’intérêt de son action en prison par les autorités, facilitant ainsi ses interventions. Malgré tout, alors que les détenus sont identifiés comme une population clé, l’association constate sur le terrain que l’on est loin du compte en matière d’accès à la prévention, au dépistage et au traitement. Les directives nationales, qui prévoient le dépistage à l’entrée et à la sortie de prison, ne sont que très partiellement mises en œuvre.

L’ONG constate également que peu d’acteurs de la lutte contre le sida agissent dans les prisons. Elle se sent assez seule dans la mise en œuvre de ses actions. C’est pourquoi ces dernières suscitent d’autant plus d’attentes que les besoins sont énormes en termes d’accès aux services essentiels, tels que l’hygiène ou la nourriture, et ce, dans une prison prévue pour 666 détenus et qui en reçoit 2 643 [iv].

En somme, il reste beaucoup à faire. « Nous avons toujours besoin de l’appui des partenaires. Sidaction nous a accompagnés sur ce projet et nous lui en sommes reconnaissants, souligne Fabrice Alegah. Mais il est clair qu’il faut surtout porter du plaidoyer pour que la direction de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion et le PNLS puissent accompagner et s’assurer de la mise en place de directives nationales qui permettent de lutter efficacement contre l’épidémie, notamment par l’accès aux moyens de prévention, au dépistage et au traitement.»

« L’espace est si petit que les personnes doivent se coucher à tour de rôle »

Artiste plasticienne et scénographe, Ettié Edinedi Essiomle intervient en milieu carcéral depuis dix-sept ans. Alors qu’elle est invitée à intervenir en prison sur un projet culturel, celle qui est aussi membre l’Espoir Vie Togo se rend compte des besoins des détenus pour réduire les risques d’infection par le VIH. Cette expérience marque le début de son long engagement dans la lutte contre le sida en prison.

Transversal : que pensez-vous des conditions de vie en prison ? 

Ettié Edinedi Essiomle : La vie en prison est très compliquée. Aujourd’hui, ce qui caractérise le plus la prison, c’est la promiscuité. La prison civile de Lomé contient quatre fois plus de détenus qu’elle ne peut théoriquement en contenir. Cette situation a des conséquences terribles.

Sur l’hygiène, par exemple : seules 9 cellules sur 44 ont des sanitaires. Les détenus des cellules non équipées se retrouvent dans des conditions très précaires. Il y a aussi le sommeil. L’espace est si petit que les personnes doivent se coucher à tour de rôle. L’accès aux soins est limité, car il n’y a pas toujours de personnel soignant sur place et la consultation est payante. Les détenus cotisent le plus souvent pour pouvoir payer en cas de besoin. Les repas fournis par la prison sont insuffisants en termes d’apport nutritionnel pour les personnes fragiles et/ou malades.

T. : Quel est votre rôle dans les projets de lutte contre le VIH menés en prison ?

E. E. E. : Depuis trois ans, je travaille à la prison de Lomé en tant que médiatrice en santé. Ce poste est financé sur le projet Fonds mondial [de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, ndlr]. Il s’agit de proposer du dépistage à l’entrée en prison, bien qu’en pratique cela n’est pas systématiquement proposé : on manque de ressources humaines, trop de choses passent par moi et je ne suis pas là 24 heures sur 24. J’essaie de proposer du conseil et du dépistage aux nouveaux détenus, mais encore faut-il que je reçoive les informations à temps… Ensuite, nous n’avons plus d’espace dédié et confidentiel depuis l’épidémie de Covid-19. C’est un vrai problème, car il existe encore énormément de discrimination par rapport au VIH.

De nombreuses personnes séropositives me demandent un appui pour continuer à être suivies à l’extérieur de la prison par crainte que l’information soit divulguée aux autres détenus. Cette situation crée beaucoup de complications. Je suis aussi amenée à réaliser du soutien psychosocial, car les détenus séropositifs sont souvent très isolés, le plus souvent rejetés par les familles. Se pose aussi la question des personnes LGBT+ qui sont en prison. La majorité d’entre elles sont sous traitement. Cela représente 52 cas à la prison civile de Lomé.

Notes et références

[i] Africa Synergy Group Plus, Enquête de surveillance de seconde génération du VIH couplée à la cartographie programmatique chez les populations clés (HSH, PS, UDI et détenus), Togo, 2022.

[ii] Estimation and Projection Package (EPP) et Spectrum V6.06, 2020.

[iii] Ouédraogo, Ousmane, et al. « La vulnérabilité des détenus hommes face au VIH/sida à Ouagadougou (Burkina Faso) », Santé publique, vol. 27, no 5, 2015, pp. 749-756.

[iv] Chiffres de septembre 2023.